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CHANTIERS : Eden Motel

eden-motelLe résumé laissait croire à une pièce sur la surmédicamentation mais en vérité, on le réalise vite, Eden Motel ne se limite pas à un seul sujet : elle fait feu de tout bois.

Le motel où se déroule l’histoire, c’est l’Amérique décadente et moderne, c’est l’Occident riche et malheureux et chacun de ses locataires et de ses employés représente une de ses dérives. Chacun illustre, à travers son histoire et ses mésaventures singulières, des problèmes qui nous touchent en tant que société. Ainsi de ce vieillard pourrissant qui, passé le cap des cent ans, cherche encore à prolonger sa jeunesse. Ainsi de ce vendeur d’automobiles usagées en peine d’amour qui entreprend de manger pièce par pièce la Cadillac dans laquelle sa femme s’est suicidée. Ainsi de la jolie femme de chambre, Wendy Windex, qui couche avec les locataires pour fuir momentanément la solitude. Ainsi encore de cet homme noir qui passe ses nuits à repêcher des déportés au large de la côte. À travers eux, c’est une critique acerbe du culte de la jeunesse, du mercantilisme, de l’isolement urbain et des politiques d’immigration que livre l’auteur de la pièce, Philippe Ducros. Et la liste pourrait s’allonger : les industries pharmaceutiques, pétrolières et pornographiques sont également critiquées. Les hauts taux de dépressions et de suicides sont pointés comme les symptômes de nos travers sociaux, de notre déchéance collective. Sur un écran oblong, placé contre le mur du fond, s’enchaînent des statistiques chocs sur l’économie mondiale, les dérèglements climatiques et les inégalités sociales qui viennent encore noircir le tableau. Comme on le faisait remarquer durant la période des commentaires, on sent une volonté dans le texte d’épuiser les causes de la misère humaine.

Eden Motel est une pièce sombre, remplie de personnages colorés. C’est une pièce qui pousse à réfléchir sur nos choix collectifs et sur les raisons qui font que tant de gens aient le moral si bas, alors que les conditions de vie sont supposément si hautes. C’est une critique dense, lucide et volontairement provocante sur la mort du rêve américain. Quelque chose comme un coup de poing dans une paire de lunettes roses.

CHANTIERS : Les objets dans le miroir…

Les objets dans le miroir…, c’est l’histoire d’une femme ; l’histoire de son viol, de son hospitalisation, de sa lente guérison et de son difficile mais salvateur retour à la vie. L’édifice qui abrite Premier Acte devient, pour l’occasion, le lieu de sa mémoire et chaque espace, chaque pièce, abrite un chapitre de son histoire.  La femme réapparaît d’un endroit à l’autre – portant toujours les mêmes vêtements – et on la suit en silence, comme une famille de fantômes qui se serait pris d’affection pour elle et pour son destin. On commence dans la cour puis on entre par la porte de derrière et remonte le fil de l’intrigue à travers une suite de pièces plus ou moins exiguës avant de finalement resurgir sur le toit pour assister à la renaissance de cette femme au parcours difficile. Il pleut, comme toujours durant ce Carrefour semble-t-il, mais la pluie ajoute au drame et à l’intensité. Pour un peu, on dirait que c’est arrangé avec le gars des vues. Finalement, on redescend sur le flan de l’immeuble par l’escalier de secours pour revenir pratiquement à notre point de départ. Et là, après avoir marché pendant près d’une heure et demi dans le passé de cette femme, on la laisse à son présent, entre les bras d’un nouvel amant.

objetsLes objets dans le miroir… demeure une pièce sombre, vu les thèmes difficiles qu’elle aborde et l’insistance du texte sur les troubles intimes du personnage principal. Le recours à des bandes sonores préenregistrées favorise l’introspection et la formule du parcours déambulatoire, quant à elle, est aussi originale que captivante. C’est toujours un réel plaisir que de participer à des pièces comme celle-ci où le théâtre sort des salles et des sentiers battus pour se réinventer de façon innovante et imprévue.

Bref, un chantier prometteur et une pièce à surveiller.

CHANTIERS : Encore une histoire de zombies

Ce à quoi nous convie Encore une histoire de zombies, c’est à une épidémie de mort-vivants sur fond d’indépendance nationale. Et, attention, ce n’est pas à un pastiche humoristique de Romero qu’on a droit mais à une authentique tentative d’adapter le genre zombie au théâtre.

encore-zombiesCe qui frappe en premier lieu, c’est l’originalité de la formule. Car si le zombie fait rage au cinéma, c’est chose rare que de le voir se produire sur scène. Le concept même de « pièce d’horreur » reste encore à inventer. Comment, en effet, conserver l’intensité et le potentiel inquiétant du revenant putréfié au théâtre sans tomber dans des clichés débiles de série B? La solution que semble avoir trouvé l’équipe de L’homme qui a vu l’ours, à ce point-ci du projet, est de ne jamais le montrer directement mais plutôt de le suggérer par des jeux d’ombres chinoises, des jets de sang sur des draps blancs, des morsures sur le corps des personnages. Bref, de construire une pièce à suspens qui repose presque entièrement sur l’évocation. (Comme le laissant entendre un spectateur lors de la période des commentaires : il est parfois plus effrayant de s’imaginer un monstre que de le voir vraiment.)

À ce titre, il faut saluer la mise en scène d’Olivier Lépine, déjà très aboutie pour une pièce qui n’est encore qu’à ses premiers balbutiements. Ceci dit, beaucoup de travail reste à faire pour adapter un texte qui semble avoir importé du cinéma, en même temps que le zombie, tout un arsenal de scènes d’actions hollywoodiennes. Ce ne sera pas une mince affaire, en effet, que de trouver des astuces scénographiques pour représenter ces passages où l’on se lance en bas d’autos en marches, ou l’on s’enfuit en hélicoptères, où on pourfend du zombie à coup de porte-drapeau et où on éclate des portes en verre avec des poubelles.

La pièce devrait voir le jour en 2014. Souverainistes, amateurs de théâtre et fans d’horreur, préparez-vous. L’indépendance du Québec se fera dans le sang.