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La grande et (pas si) fabuleuse histoire du commerce

La grande et fabuleuse histoire du commerce nous transporte dans le monde de la vente au porte-à-porte et, contrairement à ce que laisse entendre le titre, c’est un milieu qui est loin d’être glamour. Sur scène ne se trouve qu’un mobilier frugal : un lit, une télévision et quelques chaises qui changent de configuration entre chaque scène, entre chaque jour de travail, pour mimer une succession de chambres d’hôtel toutes sensiblement identiques. C’est dans ces chambres louées – et jamais sur la rue, où s’effectue pourtant tout le travail – qu’on découvre les colporteurs.  Ils apparaissent fiers et pimpants lorsqu’ils ont vendu, las et irritables lorsqu’ils rentrent bredouilles. Et sur leurs lèvres, entre eux, toujours la même question formulée de cent façons différentes : « combien de ventes? ». Tout le reste : les problèmes, les rêves, la vie privée, est considéré hors de propos.

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C’est à travers le personnage de Frank que nous est dévoilé le monde implacable du commerce. Jeune recrue dans la première moitié de la pièce, des scrupules éthiques l’empêchent de vendre. Puis, avec « l’aide » de ses coéquipiers, il réussit à s’en défaire et devient le meilleur vendeur de l’équipe. Ceci dit, on sent vite qu’une part de ce qui le rendait humain est perdue au change. Quand un de ses collègues entre à l’hôpital, il préfère continuer à vendre plutôt que de se rendre à son chevet. Ce qui prime désormais pour lui, c’est l’argent. Dans la deuxième moitié de la pièce, Frank -devenu riche, arrogant et manipulateur- n’est plus recrue mais formateur. C’est à son tour d’introduire les nouveaux venus aux règles du commerce, de les pousser à troquer leur éthique de vie pour une éthique de travail. Le cycle, pour ainsi dire, recommence : la lutte pour la première vente est à nouveau montrée comme une lutte contre une part d’humanité en soi. Ainsi, ceux qui gagnent au jeu y perdent aussi quelque chose. Au terme de la formation, Frank emploie ceux qui ont vendu et renvoient celui qui n’y parvient pas. Hors, à la toute fin, quand sa femme le quitte et que Frank cherche une épaule sur laquelle pleurer, tous les nouveaux vendeurs prennent le chemin du travail  et le seul qui reste pour le consoler est celui qui vient d’être congédié, celui qui a « échoué » à renier son humanité.

Le message de La grande et fabuleuse histoire du commerce est on ne peut plus clair : « Ce qui vaut au travail vaut encore dans la vie privée et quand on décide de faire passer le gain personnel avant l’homme, on ne peut plus faire marche arrière. » En d’autres mots, on ne peut pas faire de la fourberie et de la duperie son métier et, en même temps, rester bon et intègre hors des heures de travail. Une dualité un peu simpliste qui s’applique sans doute au monde du commerce mais qu’on aura du mal à exporter à plus grande échelle pour en faire une réflexion sur la société.

Quant à moi, j’ai apprécié la pièce mais j’aurais aimé qu’elle pousse plus loin, qu’elle creuse d’avantage la réflexion. J’aurais aimé qu’on dépasse un système binaire avec d’un côté « L’homme moral qui ne vend pas » et de l’autre « L’homme immoral qui vend » pour atteindre un vrai questionnement sur les valeurs respectives de l’argent et de la morale dans notre société.