J’aime les longues pièces et je suis un grand admirateur du travail d’Alexis Martin. Aussi, vendredi, en arrivant au Grand Théâtre, j’avais très hâte de découvrir la trilogie fleuve L’Histoire révélée du Canada français. Ceci dit, j’avais aussi une petite crainte, sans doute instillée par un compte-rendu lu ici ou là. Je craignais la tendance au « pédagogique ». Je redoutais que la salle de spectacle ne devienne salle de classe et que les spectateurs –redevenus élèves – soient condamnés à se coltiner sept heures de cours magistral sur l’histoire du Québec. Heureusement, j’avais tort de m’inquiéter.
J’avais tort car L’histoire révélée ne se veut pas une leçon aride mais plutôt une invitation ludique au souvenir, une invitation à se réapproprier et à célébrer notre mémoire collective. En fait, autant que de notre histoire, c’est de notre rapport à cette histoire que parle la pièce : de ce qu’on choisit d’en retenir ou d’en oublier, de ce qu’on célèbre mais aussi de ce dont on a honte, de ce qu’on occulte ou dissimule (d’où le titre « histoire révélée »).
Dans cette fresque gigantesque, les pages de notre histoire ont été battues comme les cartes d’un jeu de mémoire. Des épisodes épars, allant des débuts de la colonie en 1608 jusqu’à la crise du verglas en 1998 se croisent sur scène. Les figures de la grande histoire comme Frontenac, Louis Jolliet, Louis-Joseph Papineau ou Gaston Miron y côtoient des québécois ordinaires, touchés de près ou de loin par les événements qui secouent leur époque. Les premières nations, également, occupent une place privilégiée dans les trois volets de la trilogie avec leurs légendes, leurs médecines, leur refus obstiné du catéchisme. Si certaines scènes paraissent être rendues fidèlement, d’autres sont volontairement détournées – par fantaisie mais aussi pour attaquer l’histoire sous un angle plus original. Dans la dernière partie de la pièce, par exemple, on verra Jehane Benoît (jouée par Danielle Proulx) nous expliquer comment faire cuire la tête à Papineau ou encore comment préparer une soupe infecte inspirée de la Bataille des Plaines d’Abraham.
Au final, ce qui se tisse devant nos yeux sur plus de cinq heures prend la forme d’un grand patchwork. Certains tableaux font rire, d’autres touchent ou instruisent. D’autres encore – peut-être plus expérimentaux – laissent résolument perplexe. Autant que l’identité québécoise, c’est la notion de mémoire, véritable fil d’Ariane de la pièce, qui permet de tenir ensemble toutes ces scènes disparates.
Beaucoup de bons points méritent d’être soulignés. Les comédiens, qui doivent sans cesse changer de costume pour incarner la ribambelle de personnages invoqués, sont épatants. L’appareil scénique, qui se métamorphose à chaque partie pour évoquer autant la neige de nos hivers que l’eau de nos rivières, étonne par sa polyvalence. Les transitions innombrables, finalement, rivalisent d’inventivité pour ne pas lasser le spectateur. Ceci dit, c’est malgré tout un peu étourdi qu’on émerge d’une œuvre aussi monumentale et échevelée que celle-là.
En retournant vers chez moi après la fin du dernier volet, je regardais les jeunes adossés au presbytère St-Jean Baptiste et les graffitis sur la façade de la côte Badelard (jadis dite « de la négresse ») et je me sentais encore ballotté d’une époque à l’autre; j’avais encore l’impression de voir, comme sur scène, plusieurs périodes du Québec se superposer.
Sans aucun doute un effet secondaire de la longue exposition à notre mémoire collective.